Le projet de loi sur l’immigration : un équilibre trompeur
En présentant le projet de loi sur l’immigration, qui doit être débattu par les assemblées ce printemps, le gouvernement explique que ce texte est équilibré. D’un côté il s’efforce de limiter l’immigration illégale, de l’autre il facilite l’intégration des immigrés en situation régulière.
La réunion qui s’est tenue le 9 mars 2023 à l’initiative du diocèse de Paris, de la Maison Bakhita et du Secours Catholique a permis de voir combien ce prétendu équilibre était précaire. Les intervenants étaient nombreux : la Fédération des acteurs de solidarité Ile-de-France, JRS (Jesuit Refugee Service), la Cimade et le Secours Catholique. Chacune des oratrices et orateurs a évoqué un aspect du projet de loi, en montrant qu’au-delà d’une déclaration de bonnes intentions en faveur des immigrés, se cachait souvent une mesure visant à restreindre leurs droits. Il serait vain de reprendre chacun des points, souvent très techniques, soulevés par les experts mais quelques exemples suffisent à montrer cette volonté de freiner l’immigration et de rendre plus difficile la vie des immigrés déjà sur notre sol.
Ainsi s’il paraît logique de demander que les immigrés démontrent leur capacité à s’exprimer en français, le fait d’exiger des niveaux élevés de connaissance de la langue et, par exemple la maîtrise de la concordance des temps, installe de fait un obstacle supplémentaire au moment d’obtenir les papiers qui garantissent une vie quotidienne sereine sur notre sol. Toujours dans ce domaine, s’il est bon de prévoir que l’apprentissage du français se fasse sur le temps de travail et qu’il soit financé par l’employeur, on peut s’interroger sur l’appétit qu’auront les chefs d’entreprises à offrir ces cadeaux à leurs salariés immigrés.
Autre exemple, la volonté d’accélérer les procédures d’appel devant la Cour nationale du droit d’asile. C’est un souhait louable mais qui s’accompagne de la fin de la collégialité dans les instances de jugement, puisque le juge unique devient la règle. On peut légitimement penser qu’une décision collégiale aurait été plus mûrie et argumentée que la décision d’un seul magistrat. Quant à l’autre aspect de la réforme de la Cour qui consiste à créer des Cours en province, c’est aussi une bonne idée sous réserve que les villes où seront installées ces juridictions disposent d’interprètes en langues rares. En effet, ceux-ci sont la clé d’une bonne justice dans ces dossiers où les magistrats doivent apprécier les menaces qui pesaient sur le demandeur dans son pays d’origine.
Enfin, le projet de loi vise à simplifier les procédures de recours administratifs. De 12 aujourd’hui elles passent à 4 ce qui est indéniablement un progrès pour les juges comme pour les avocats. Mais cette simplification bienvenue s’accompagne d’un raccourcissement des délais d’appel qui permettent de contester les décisions de première instance.
En conclusion de la réunion et avant que Mgr Le Borgne fasse part de son témoignage, Marianne, responsable d’animation de la Caritas sud et de la thématique migration du Secours Catholique de Paris, a présenté quatre points forts qui doivent guider l’action des participants à cette réunion où les responsables d’associations caritatives étaient nombreux.
Il faut d’abord donner les bonnes informations aux migrants et aussi à celles et ceux qui les prennent en charge. Il faut éviter de développer une peur qui serait disproportionnée à ce stade. La loi n’est pas votée et elle peut - elle doit - évoluer.
Il convient de prendre à témoin l’opinion en relayant une autre vision de l’immigration. La France n’est pas envahie par des hordes barbares. Les immigrés, pourvu qu’on leur mette le pied à l’étrier, s’intègrent parfaitement, leurs enfants vont à l’école et les parents constituent une main-d'œuvre dont notre économie a besoin.
Marianne a invité les participants à signer la pétition qui demande l’organisation d’une Convention Citoyenne sur la Migration, à l’image de celle qui vient de se tenir sur la fin de vie. Il faut donner à nos concitoyens l’occasion d’avoir un débat informé et serein sur l’immigration et ses conséquences.
Enfin et en s’adressant de nouveau aux responsables de réseaux caritatifs et aux citoyens, il faut contacter les parlementaires avant que la loi ne vienne en discussion au Parlement. Il faut que les associations qui le peuvent organisent des contacts directs entre des parlementaires et des immigrés. Comme leurs concitoyens, députés et sénateurs n’ont de l’immigration qu’une vision lointaine du sort des immigrés. Il faut leur donner l’occasion de serrer la main d’une Afghane ou d’un Érythréen. Ils verront alors que ces personnes sont d’abord des hommes et des femmes avant d’être des immigrés.
Je veux d’abord remercier les organisateurs de cette soirée. Les personnes qui sont intervenues ont exposé la complexité de ce qui était en jeu dans le projet de loi dont je ne percevais jusqu’ici pas grand-chose. Je veux exprimer aussi ma gratitude à tous les participants pour leur engagement au service des personnes migrantes.
Peu de temps après ma nomination comme évêque d’Arras, on m’a suggéré de me rendre à Calais pour rencontrer des migrants. Cela a été un choc. Jusque-là je n’avais qu’une connaissance assez théorique des questions migratoires. Au contact des immigrés je suis passé du dossier aux visages. A Calais, il y a des personnes qui sont traitées moins bien que des animaux domestiques. J’ai alors pensé à Mgr Salièges, l’évêque de Toulouse pendant la guerre, qui s’est élevé contre la persécution des Juifs par Vichy et par les nazis. Sa célèbre interrogation : Pourquoi sommes-nous des vaincus ? c’est-à-dire pourquoi nous résignons nous ? m’a incité à m’exprimer et à écrire ce petit livre. *
Il faut bien-sûr se garder du manichéisme : il est vrai que l’on ne peut sans doute pas «[LOE/Dd1] accueillir toute la misère du monde », mais comme chrétiens nous ne pouvons pas admettre que des humains, créés à l’image de Dieu comme nous, soient laissés dans un tel état d’abandon au milieu d’une indifférence quasi générale. Notre société n’accepte pas d’être dérangée et se replie sur elle-même. Nous vivons une crise de l’altérité. Il nous revient d’interpeller nos concitoyens comme les politiques. On se réclame souvent du réalisme pour se résigner. Il me semble que le seul réalisme authentique est le suivant : Christ est mort, il est ressuscité. A partir de là, nous pouvons – et devons – toujours nous battre pour le respect de la dignité de toute personne humaine.
[LOE/Dd1]Je mets des guillemets car il y a quelque chose dans cette formule qui me met toujours un peu mal à l'aise, comme si la question était mal posée. Cela ne m'empêche pas de l'utiliser, mais je ne me l'approprie pas complètement.
* Prière pour le temps présent. Editions du Seuil. 2022.
Jean Pierre Daniel, Secours Catholique de Paris, Mars 2023