Dématérialisation des services publics : les plus précaires en danger
Comment survivre dans la société du tout numérique ? Les personnes en situation de précarité font face à un mur pour accomplir nombre de démarches. La situation est particulièrement critique pour les personnes étrangères, les foyers aux plus faibles ressources, les personnes âgées. Aujourd’hui, un tiers des citoyens subit une entrave à l'accès à leurs droits avec la démarche de la dématérialisation des Services publiques, c’est tout le paradoxe de la dématérialisation.
Boubakar, Aicha, Adama ou encore Nadia, tous témoignent des difficultés des démarches administratives imposées par cette dématérialisation à tous les niveaux : absence de réponse, absence d’interlocuteur, …les conséquences individuelles sont lourdes : licenciement pour péremption du titre de séjour, contrat de travail annulé, perte de logement et de droits médicaux…
Un vrai parcours du combat que seuls les acharnés surmontent avec l’aide des bénévoles du Secours Catholique et des avocats mis à disposition pour débloquer les situations. et ce n’est pas des cas isolés, les témoignages se multiplient et se ressemblent.
Adama rappelle à quel point l’aide du Secours Catholique et des bénévoles lui a permis de tenir, d’avancer et enfin d’avoir des papiers après 22 ans de vie en France. Il craint déjà l'épreuve administrative du renouvellement de son titre de séjour.
Tous pourtant sont à l’aise avec internet, tous ont pu avoir accès à des équipements permettant de se connecter. Les difficultés restent donc le fonctionnement des services et la complexité des sites internet proposés : impossibilités de prendre des rendez-vous, tous les cas ne sont pas pris en compte, le problème de la langue, questions peu adaptées au grand public.
La dématérialisation devrait ou aurait dû s'accompagner d’une simplification des démarches publiques
Plus de soixante acteurs majeurs dans les questions sociales, environnementales et démocratiques alliés dans le Pacte du pouvoir de vivre, alertent sur la fracture numérique qui résulte de cette dématérialisation généralisée.
La Cimade souligne que c’est bien les exilés et les étrangers qui sont les plus touchés par cette dématérialisation. Aujourd'hui, il n’existe pas d’alternative à cette dématérialisation à outrance en quelques années. « Le constat est clair, nous sommes confrontés à une perte de droit. » affirme Laurence Fabert, de la Cimade
Solidarités nouvelles pour le Logement a dû s'adapter à cette dématérialisation en accompagnant leurs bénéficiaires pour réduire cette fracture numérique. Les travailleurs sociaux deviennent : « des coachs numériques », souligne Maxime au lieu de travailler sur le “savoir habiter” avec leurs bénéficiaires. Un des besoins de base devient l’accès au numérique et à l’utilisation du numérique.
Boubacar, personne accompagnée par le Secours Catholique témoigne : « J’ai 19 ans. Je travaille en tant que technicien Telecom ; je suis à mi-temps car je suis en attente de ma carte de séjour. Mon employeur veut m’embaucher à plein temps et a fait tout un dossier. Galère pour avoir un rendez-vous à la préfecture de Paris ; j’ai mis près de six mois depuis juillet 2021 ; j'allais sur internet pour avoir le rendez-vous et ça ne marchait pas. C’était important d’avoir ce rendez vous à mes 18 ans en tant que jeune majeur. Je pouvais être régularisé si j’étais diplômé et un rendez-vous en préfecture avant mes 19 ans. J’ai fini par l'avoir, le 13 janvier 2022. J’ai déposé le dossier, avec une confirmation de dépôt, indiquant que j’aurais un retour dans 4 mois . Relance deux fois par mails : j’attends toujours. Du coup, j’ai une promesse d’embauche à plein temps que je n’ai pas pu concrétiser, pas de logement, pas de carte vitale. J’ai mis 6 mois pour avoir un RDV, je l’ai eu grâce à une association et en passant par un avocat, et depuis janvier 2022 je n’ai toujours pas de réponse de la préfecture de Paris et aucune possibilité de savoir pourquoi après 4 mois je n’ai pas de réponse : il n’y a pas d’interlocuteur. Et mon employeur ne peut pas m’embaucher à plein temps.”
Maxime Jean, de la Cellule numérique SNL explique : « La dématérialisation n’est pas mauvaise en soi, elle est même bénéfique pour une certaine partie des usagers mais pour une grande partie des usagers, les personnes en précarité, elle est une entrave à l’accès aux droits. »
Nadia Berghout, secrétaire général CFDT en charge de la protection sociale : « Cette démarche n'est pas là pour faciliter l'accès mais bien de rationaliser les coûts. Le service public qu'on doit rendre n'est plus au service des personnes. La complexité administrative ne permet pas d’accéder à leur droit. »
Marie-Ange Piazza, présidente de la Cimade témoigne : « Grâce à vos témoignages, cela a permis de mieux partager et mesurer les dégâts irréversibles provoqués par la dématérialisation des Services publiques. Une éclaircie sur le secteur de l'économie sociale et solidaire (ESS) qui ne renonce pas et ne baisse pas les bras malgré tout. Sous ce couvert de modernisation, nous assistons à une dissimulation des suppressions de postes, une externalisation vers des acteurs privés ou des mécanismes de sous-traitance, les files d’attente disparaissent mais sont virtuelles et sont dramatiques pour les publics les plus précaires. »
PLAIDOYER contre les inégalités liées à la fracture numérique et à la dématérialisation des services publics
PLAIDOYER contre les inégalités liées à la fracture numérique et à la dématérialisation des services publics
Rédaction Gabriela Belaid, Sarah Bordin et Elodie Jolibois